ça faisait longtemps ...
que je n'avais pas pleuré...
Enfin, bon, une petite semaine...
Je commence à avoir l'habitude... Après deux journées de 10 h non stop à l'école, c'est le trop plein qui se déverse le mercredi...
Donc, convoquée ce mercredi matin par le "médecin des personnels", un homme froid mais compétent, enfin du point de vue administratif...
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Je fais d'abord la queue 20 minutes sous la pluie pour entrer dans la Préfecture d'Evry... Tous les jours, des dizaines de sans-papiers font la queue ainsi...Et moi, je me demande ce que je viens faire dans cette galère...
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Après avoir erré dans les couloirs, je tombe sur le bureau du Dr L. Une secrétaire me prévient, il est en colère car il réclame depuis trois jours son badge d'entrée sur le site, qu'on lui a pris !
En effet, il me raconte ses mésaventures de badge...Je me dis :"Encore un qui n'a que ça comme problème ..."
- Je suis fatiguée et déjà tendue... Il me demande de lui rappeler toutes les dates depuis la découverte de la tumeur...
Cela m'oblige à revenir sur tout mon parcours depuis janvier 2012... Vraiment pas envie de ressasser tout ça... Je sens la pression monter.
- Il me demande aussi mes antécédents d'opération : carcinome du poumon en 2006 :
il me propose de constituer un dossier de prise en charge du cancer comme "maladie professionnelle" car j'ai été exposée à l'amiante à Jussieu et peut-être à l'école où j'ai enseigné pendant 7 ans...
Depuis cette école a été détruite.
Je n'ai pas envie de replonger dans les paperasses administratives, pas envie d'"indemnités" ni de quoi que ce soit, juste tourner la page...
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Il me recommande de demander à prolonger le mi-temps thérapeutique jusqu'en juin. Il me prédit deux ans de fatigue et plus encore de douleurs articulaires, mais le corps finit par vivre avec... "Il faut penser aux bénéfices du traitement hormonothérapeutique plus qu'aux inconvénients..."J'entends encore mon oncologue me dire qu'à cette rentrée 2013 tout serait rentré dans l'ordre...
- Il me propose de constituer aussi un dossier de " Reconnaissance de Qualité de Travailleur Handicapé", pour demander un temps partiel de droit en septembre 2014.
En même temps, il me propose des mouchoirs, il y en a une pile sur son bureau.
Je me revois chez la psychologue de l'hôpital, qui me tendait sa boîte de mouchoirs..."Qu'est-ce que vous croyez ? Pourquoi j'ai des mouchoirs ?...Les autres femmes pleurent aussi en venant ici..."
- Il me fait un certificat d'exemption à encadrer un groupe en sport à l'école.
Il va falloir négocier avec les collègues pour que l'une d'entre elles accepte d'échanger avec ma plage horaire imposée du lundi matin, dont personne ne veut jamais ...
Bref, à moi qui fais tout pour "survivre", à moi qui espère chaque matin me réveiller sans douleurs, à moi qui envisage de reprendre des activités "normales", il prédit un avenir fait de fatigue et de douleurs persistantes, liées à mon traitement "chimique" sur les 5, voire 10 années à venir.
Et puis ses petites phrases qui marquent :
"Il y a des personnes qui suivent une autoroute...Là, vous êtes sur une route sinueuse de montagne..."
" Vous n'avez plus les mêmes capacités, mais fondamentalement, vous êtes toujours la même !"
"Si vous retravaillez à temps complet en septembre 2014, vous risquez de vous arrêter à la Toussaint et ce sera pire, vous subirez une blessure narcissique de ne pas y être arrivée !"
"La vie est une maladie sexuellement transmissible... et mortelle ! Nous sommes tous en sursis sur cette terre !"
Beau programme d'encouragement !
Merci Docteur, au revoir...
L'après-midi même, il me rappelle... Il "aime bien que les dossiers soient bouclés", il a cherché le tableau des "maladies professionnelles", il a envoyé un mail au rectorat pour demander pour mon école... c'était en 1987...
Je le remercie de tout son intérêt...
J'ai l'impression de vivre un film d'espionnage...Ce médecin en fin de carrière semble avoir pour cheval de bataille le "scandale de l'amiante"...
Et moi, franchement, je n'ai qu'une envie, c'est de ne plus penser à la maladie...
Merci Docteur ...
( encore une fois, seuls ceux qui en sont passés par là peuvent comprendre...
et paradoxalement, les médecins ne sont pas les plus aptes à cela !
L'après-midi même, j'ai passé deux heures au téléphone avec ma chère Martine,
Au moins, nous, on "sait", on se soutient, on se comprend ... )